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"Ça fait des années que cette histoire couvait" : comment un chirurgien grenoblois réputé a fini par être accusé d'avoir détruit la vie de ses patients

"Ma jambe ne repoussera pas." Frédérique Bagalino a la voix brisée quand elle évoque la quarantaine d'opérations qu'elle a subie pour tenter de sauver sa jambe après une intervention du docteur Hervé V. "J'ai tout perdu. Mon mari, ma famille, ma jambe, mon travail", confesse-t-elle d'une voix étouffée. Son combat désormais : aider les autres victimes présumées de ce chirurgien orthopédique à la clinique des Cèdres de Echirolles, dans la banlieue grenobloise, à surmonter "cette vie anéantie".

La justice reproche au chirurgien d'avoir opéré de façon injustifiée et d'avoir réalisé de mauvais suivis post-opératoires ayant entraîné de lourdes séquelles chez vingt-huit de ses patients, entre 2013 et 2014 – l'orthopédiste poursuit par ailleurs quatre d'entre eux et le procès en diffamation se tient au tribunal correctionnel de Grenoble lundi 15 juillet. Mais le nombre de victimes présumées du docteur V. pourrait être bien plus élevé, selon des sources proches du dossier. Et nombre d'entre-elles se demandent comment ce chirurgien a pu continuer à pratiquer alors que les doutes sur ses interventions s'accumulaient.

Un chirurgien à l'ascension fulgurante

Hervé V., 49 ans, est bien connu dans la région. Originaire de Rhône-Alpes, le chirurgien effectue son internat au CHU de Grenoble, entre 1995 et 2001, avant de se consacrer à l'orthopédie et à la traumatologie. Devenu un des spécialistes du dos dans la région, il jouit rapidement d'une très bonne réputation auprès de ses pairs ainsi que de nombreux patients. Eric Berton, 50 ans, victime d'une grave infection qui a failli lui coûter la vie après une opération des cervicales en juillet 2017, l'a consulté "sur les conseils de [son] médecin traitant", raconte-t-il d'une voix enrouée.

Même confiance du côté de Christophe Fuselier. Ce chauffeur routier de 46 ans souffre du dos et enchaîne les arrêts maladie. Après avoir vu plusieurs médecins qui le trouvent trop jeune pour une intervention, il rencontre Hervé V. "Le docteur me dit : 'Si je vous opère, dans six mois vous reprenez le boulot'", explique-t-il. Il accepte sans hésitation en 2007. Dix ans plus tard, il sera amputé de la jambe gauche en raisons de complications. Quant à Frédérique Bagalino, 49 ans, c'est les "yeux fermés, sans se poser de question", qu'elle se fait opérer en 2009 par le médecin qu'elle "ne connaissait absolument pas avant".

Il faut dire que le spécialiste grenoblois, bardé de diplômes, connaît une ascension professionnelle fulgurante. Aprés quatorze années au CHU de Grenoble, il quitte la fonction publique en octobre 2009. Il prend alors le statut de libéral, monte son cabinet et intègre l'équipe de la clinique des Cèdres à Echirolles, dans la banlieue grenobloise.

En parallèle de son activité médicale, le chirurgien enchaîne les publications dans des revues scientifiques référencées et intervient régulièrement dans des congrès nationaux et internationaux. Il endosse de plus en plus de responsabilités au sein de la clinique et devient responsable assurance-qualité en 2011 et deux ans plus tard un de ses seize co-administrateurs.

Une autosatisfaction malgré de premières erreurs

Une belle carrière qui ne le lui évite pas quelques critiques à l'époque. Certains de ses anciens patients le décrivent ainsi comme un personnage plutôt distant. "Je n'ai pas souvenir d'un chirurgien qui soit dans l'empathie", se remémore Frédérique Bagalino, qui le rencontre pour la première fois pour une fracture de la cheville à la suite d'une chute le soir de Noël 2009. Entre une vis qui casse, une infection et des poussées de fièvre, elle doit ainsi revenir trois fois de suite aux urgences avant d'être prise au sérieux par le chirurgien.

Elle finit par consulter un autre chirurgien et décide de porter plainte contre le service des urgences de la clinique en 2010.

Rare dans ses visites pré et post-opératoires auprès de ses patients, le docteur Hervé V. affiche pourtant une autosatisfaction constante. "Le lendemain de mon opération, il est entré dans ma chambre et m'a dit qu'il était très content du résultat", grince Eric Berton. Quelques jours plus tard, affaibli et fiévreux, il développe un imposant kyste dans le cou. Le docteur "fait traîner" et le réopère tardivement.

Si le médecin a bien reconnu par écrit qu'il avait oublié une compresse, "il n'a jamais eu un mot d'excuse", s'exaspère l'ancien patient.

De premiers accrocs qui ne stoppent pas l'ascension de Hervé V., qui développe un concept de vis pédiculaire à implanter dans la colonne vertébrale. Afin de commercialiser son innovation auprès de la société Safe Orthopaedics, il renonce en 2013 à ses trois brevets en échange d'un pourcentage sur les ventes. Deux ans plus tard, il vante, en tant qu'utilisateur, les mérites de ce matériel orthopédique dans une lettre destinée aux actionnaires de l'entreprise.

Mais le temps semble manquer de plus en plus à ce professionnel exerçant une spécialité dite "à risque". En 2015, la Haute Autorité de santé (HAS), chargée de la sécurité des patients, lui retire son accréditation. Car il ne répond plus aux deux obligations exigées par la HAS, qui sont l'analyse des incidents préjudiciables qu'il rencontre dans le cadre de son activité et la formation.

Des dossiers suspects pour la Sécurité sociale

Durant toutes ces années, les erreurs présumées du chirurgien n'entachent pas sa carrière car elles passent pour des aléas thérapeutiques isolés. Jusqu'à ce la Sécurité sociale tire la sonnette d'alarme, en 2016. Réputée comme l'une des cinquante CPAM les plus pugnaces à l'égard des médecins, la Caisse primaire d'assurance-maladie de l'Isère identifie 54 dossiers suspects du docteur grenoblois entre 2013 et 2014. Parmi ces cas, 30 patients ont connu des séquelles post-opératoires allant jusqu'à l'amputation. Dans son rapport, le médecin-conseil reproche au chirurgien grenoblois "le caractère insuffisant, inapproprié et déloyal de l'information" apportée à ses patients, l'absence de "justification quant à ses indications chirurgicales" ainsi que "le défaut de suivi post-opératoire".

Après une plainte déposée par la CPAM, le parquet de Grenoble ouvre une enquête préliminaire en décembre 2016 pour "mise en danger d'autrui" et "escroqueries et non-assistance à personne en danger". Pas de quoi déstabiliser le docteur V. qui continue à pratiquer des opérations. Toutefois une nouvelle plainte est déposée par Christophe Fuselier courant 2017. Elle vise le CHU de Grenoble et non lui directement. "Il a gâché ma vie", accuse l'ancien chauffeur routier. Cloîtré chez lui toute la journée ne pouvant tenir debout que quelques instants, il a mis dix ans pour trouver l'énergie de porter son dossier devant la justice. Il est imité par Eric Berton qui dépose à son tour une plainte au cours de la même année.

Suspendu mais pas radié

Onze mois plus tard, la caisse d'assurance-maladie le sanctionne le 25 novembre 2017 et exige le remboursement des frais médicaux engagés à hauteur de 35 302,94 euros. Le chirurgien fait appel, le 25 janvier 2018, devant le conseil national de l'Ordre des médecins arguant que "l'analyse de son activité a été menée à charge, seuls deux des patients en cause ayant eu une démarche contentieuse".

Hervé V. conteste les accusations du médecin-conseil de la CPAM mais sa défense est faible. Lors des différentes convocations devant les membres du conseil national de l'Ordre des médecins, le chirurgien soutient "sans preuve la tentative d'influence du médecin-conseil sur les médecins experts" chargés d'évaluer les 52 dossiers. Il "affirme sans le démontrer qu'il délivrait à ses patients une information claire, intelligible et loyale", précise un document que franceinfo a pu consulter.

Le conseil national de l'Ordre des médecins rend finalement sa décision un an plus tard, le 15 janvier 2019. Un délai "relativement court", selon l'organisme, car en moyenne il faut compter plus d'un an et demi. Ainsi à compter du 1er mai 2019 et jusqu'au 30 novembre 2020, le médecin grenoblois n'a plus le droit d'exercer. Suspendu pendant trois ans,dont dix-huit mois avec sursis, il est également condamné à verser la somme due à la CPAM de l'Isère. La chambre disciplinaire de l'Ordre des médecins de Rhône-Alpes lui inflige aussi un blâme le 25 avril, dont il fait appel.

Les témoignages de victimes se multiplient

Dans le même temps, la presse s'empare de l'histoire du "chirurgien de l'horreur". Serge Pueyo, journaliste grenoblois, est "celui qui a fait éclater l'affaire au grand jour" avec ses articles pour Le Parisien, à partir du 10 avril. "Ça fait des années que cette histoire couvait", assure-t-il.

Les témoignages de victimes présumées s'enchaînent dans les médias locaux : Serge Gillet, 62 ans, opéré d'une hernie discale en 2014, se déplace en fauteuil roulant depuis ; Bakary Diakité, après quatre opérations du dos à cause de vis mal posées, ne se déplace qu'avec un déambulateur et doit rester couché la majeure partie de la journée. Tous racontent leur souffrance quotidienne après une intervention du docteur Hervé V. Amer, Eric Berton s'interroge. "Les victimes, ce sont des gens qui ont des petits revenus à qui il a pris du fric. Bizarrement, la mère de mon médecin généraliste, pour elle tout s'est bien passé", lâche-t-il.

Difficiles de connaître les réelles motivations du docteur V. Pour l'instant, celui-ci reste silencieux. Ni lui, ni son avocat Bernard Boulloud n'ont répondu aux sollicitations de franceinfo. S'estimant victime d'une cabale, le chirurgien a même intenté un procès en diffamation contre quatre de ses anciens patients, dont Frédérique Bagalino et Christophe Fuselier, et deux directeurs de journal.

En attendant la version du médecin grenoblois, le tribunal de grande instance de Grenoble a reçu les résultats de l'enquête de police, le 18 juin dernier. Le procureur de la République, Eric Vaillant, a confirmé à franceinfo l'ouverture d'une information judiciaire à l'encontre du docteur Hervé V. pour "blessures involontaires ayant entraîné une ITT supérieure à 3 mois". "Une plainte supplémentaire nous étant parvenu en juin 2019, celle-ci a été transmise au juge d'instruction", complète-t-il, portant à 28 le nombre de plaignants.

A l'instar de ses compagnons d'infortune animés par une même détermination, Christophe Fuselier "ne lâchera pas tant que le docteur ne sera pas radié et moi indemnisé". Et la liste des plaignants pourrait s'allonger car une "cinquantaine d'anciens patients" ont contacté Edouard Bourgin, l'avocat qui s'occupe des victimes présumées. "Nous sommes à la veille d'un scandale sanitaire local d'une grande ampleur", assure-t-il.

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