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Le référé liberté est-il enfin devenu « l’arme la plus efficace, la plus économique et la plus pratique qui existe au monde pour défendre les libertés » ?

Dans la situation d’espèce il était demandé au juge du référé-liberté du Conseil d’État de faire injonction à l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (APHP) et à l’Agence de la biomédecine d’exporter vers une clinique espagnole les gamètes du mari décédé d’une jeune femme désirant bénéficier d’une insémination artificielle. L’Agence de la biomédecine seule compétente au regard des dispositions de l’article L.2141-11-1 du Code de la santé publique pour autoriser l’importation ou l’exportation de gamètes du corps, avait opposé à Mme Gomez un refus en raison des dispositions de l’article L.2141-2 du code précité posant comme condition à une telle opération que les deux membres du couple soient vivants. La requérante ayant alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris par le biais d’une demande de référé-liberté, arguait que les dispositions précitées du Code de la santé publique faisaient obstacle à la réalisation de son projet de grossesse dans les conditions légalement prévues en Espagne et, surtout, portaient une atteinte disproportionnée à son droit au respect desa vie privée tel que conventionnellement garanti par l’article 8 de la CESDH. Elle demandait ainsi au juge du référé-liberté d’examiner un moyen de non compatibilité de la loi avec les engagements internationaux de la France, ce qui était alors interdit par la jurisprudence « Carminati » du 30 décembre 2002 [2]. C’est alors logiquement que le tribunal administratif de Paris considérait ce moyen comme étant inopérant et rejetait la demande de Mme Gomez par une ordonnance de tri.

En effet par sa décision « Carminati », le Conseil d’État avait pu estimer que le juge des référés n’était pas susceptible de prendre en considération un moyen de la contrariété de la loi à des engagements internationaux, sauf en cas d’existence d’une décision juridictionnelle antérieure sur la question, rendue soit par le juge saisi à titre principal, soit par le juge compétent saisi à titre préjudiciel.

Cette jurisprudence particulièrement contestable au regard du principe de la primauté et de l’effectivité du droit de l’Union européenne – encore alors dénommé droit communautaire – était fort heureusement abandonnée à l’occasion de la décision du 16 juin 2010 « Dame Diakité » [3] ; sans pour autant que la solution « Carminati » ne soit infirmée s’agissant des autres normes internationales issues des traités ratifiés par la France. Or comme le souligne Aurélie Bretonneau [4] – en s’appuyant sur la jurisprudence du 3 juillet 1996 « Ministre de l’équipement c/. Société ABC Ingeneering »[5]- alors rapporteur public de l’affaire « Gonzalez Gomez » : « La première ce deux exceptions suffit à nous convaincre de la fragilité juridique de l’interdiction faite au juge des référés (…) la décision par laquelle un juge du fond fait droit à une exception d’inconventionnalité de la loi n’a d’autorité que relative et ne produit hors du litige aucun effet juridique qui tiendrait les autres juges du fond ». Il apparaissait en effet quelque peu paradoxal de maintenir l’anachronique opacité de la théorie de l’écran législatif plus de trois décennies après l’arrêt « Nicolo » [6] devant le juge du référé-libéré pourtant symbole de la modernité et de l’efficacité de la justice administrative en matière de protection des libertés fondamentales. La principale réticence sur laquelle reposait la jurisprudence « Carminati » résultait d’un raisonnement selon lequel le juge des référés ne saurait fonder sa décision sur des moyens nécessitant une analyse complexe, par conséquent non évidente par nature, et manifestement incompatible avec le court délai offert au juge du référé liberté pour statuer. Si cet argument quoique logique n’était pas pour autant insusceptible de critiques fondées, il était en tout cas devenu aujourd’hui particulièrement obsolète dès lors que la jurisprudence « Carminati » fut amputée par la décision « Diakité » ; il semblait tout à fait incohérent de faire fi de ce préposé pour le droit de l’Union et non pour d’autres textes internationaux, et en particulier pour la CESDH. À Ronny Abraham [7] de qualifier ainsi cette situation de « muraille de papier »tant le droit de l’Union européenne – et au premier rang duquel la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – est assimilable en de nombreux points aux dispositions de la CESDH.

À l’occasion de l’affaire «Lambert» [8], le Conseil d’État par son ordonnance du 24 juin 2014apportait également une exception – certes essentiellement symbolique, car associée aux circonstances très particulières du cas d’espèce– au legs de la jurisprudence « Carminati ». Il considérait ici « (…) qu’eu égard à l’office particulier » du juge du référé-liberté lorsqu’il est saisi d’une décision médicale « conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable et que l’exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie, il lui appartient, dans ce cadre, d’examiner un moyen tiré de l’incompatibilité des dispositions législatives (…) avec les stipulations de la CESDH ». Même si le Conseil d’État entendait ici souligner que la décision « Lambert » était avant tout autre chose, une pure solution d’espèce, il n’en laissait déjà pas moins planer une incertitude quant au maintient d’une jurisprudence largement critiquée et partiellement remise en cause par petites touches [9]. Sans doute, le Conseil d’État se sentait de plus en plus embarrassé par une jurisprudence l’empêchant, dans une procédure qui ayant précisément vocation à protéger en urgence les libertés, d’examiner, par principe, un moyen tiré de la violation de la CESDH.

Le référé liberté est-il enfin devenu « l’arme la plus efficace, la plus économique et la plus pratique qui existe au monde pour défendre les libertés » ?

D’autre part, l’absence d’un tel contrôle pouvait contribuer à réduire l’efficacité du référé-liberté, de telle manière que la faculté offerte au justiciable de former un référé-liberté sans l’obligation d’exercer simultanément un recours au fond, pouvait devenir non plus un avantage mais un inconvénient dommageable à la protection de ses libertés fondamentales. En effet en situation de référé-suspension cette absence de contrôle serait moins dommageable dans le cas où si elle avait conduit le juge du référé à ne pas pouvoir prévenir une atteinte pourtant fondée au regard des textes internationaux, le juge du fond eu égard à son office pourra remédier à cette situation. Or une telle situation est bien plus rare en matière de référé-liberté où il est courant que ce recours au fond simultané ne soit pas exercé, notamment au regard de la situation d’extrême urgence qui caractérise cette procédure.Si bien qu’en résulte un affaiblissement de la position de protecteur des libertés fondamentales du juge administratif, tant « il en résulte que si la loi venait à porter aux droits et libertés fondamentaux protégés par un traité une atteinte grave et manifestement illégale qu’il y aurait extrême urgence à faire cesser, le juge des référés, alors même qu’il serait le seul recours utile, se trouverait paralysé ».

C’est ainsi que suivant les conclusions d’Aurélie Bretonneau, le Conseil d’État a accepté d’examiner les circonstances de l’affaire par le visa de l’article 8 de la CESDH. Si en raison de l’absence d’un consensus européen en matière de bioéthique, les États signataires peuvent parfaitement interdire l’insémination post-mortem, le Conseil d’État a estimé qu’au regard de la situation particulière de la requérante et des faits de l’espèce, que le refus de l’agence de la biomédecine portait une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et familiale de celle-ci.

En tout état de cause, en acceptant d’élargir l’office du juge du référé-liberté au contrôle de conventionalité de la loi au regard de la CESDH, le Conseil d’État a de lui-même tourné clare et intente la page des jurisprudences « Carminati » et « Allouache » [10] excluant que le juge du référé-liberté puisse examiner la conventionalité d’une loi.

Ainsi par ces évolutions le juge du référé-liberté possède désormais pleinement un attribut qui lui revenait de droit, c’est à dire la possibilité d’exercer un plein et entier « contrôle de fondamentalité » mettant le justiciable au cœur de la protection effective des droits et libertés. En ce sens que l’interdit législatif ne vaut pas toujours plus que le droit subjectif du justiciable, que « le législateur tout fondé qu’il est à régler le sort des personnes qui se trouvent sous sa juridiction, y compris en entendant, au nom du principe de bienveillance, faire leur bien parfois malgré elles, ne peut pas être réputé avoir entendu régir des situations qui, par la force des circonstances, lui échappent (…) complètement » [11].

Ainsi toutes les libertés inscrites dans notre Constitution ou dans les traités internationaux signés et ratifiés par la France sont désormais protégés par la procédure du référé liberté, qui s’étend jusque la voie de fait. D’une telle évolution résulte que « pour les justiciables et dans l’opinion publique, le juge du référé-liberté, est devenu l’un des maillons familiers et indispensables de la protection de nos droits fondamentaux » [12]. Faudrait-il par là même paraphraser Gaston Jèze s’exprimant au sujet du recours pour excès de pouvoir, en considérant que le référé-liberté est devenu « l’arme plus efficace, la plus efficace, la plus économique et la plus pratique qui existe au monde pour défendre les libertés », ne serait-ce que dans le cadre des relations entre les administrés et l’administration ?

Rien ne semble être plus sûr.

Sources :

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