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« Si nous le voulons, nous nous dirigeons vers une vie plus harmonieuse », Dominique Bourg

Dans le cheminement vers ce que vous appelez dans l'un de vos ouvrages, l'« écologie intégrale », vous insistez sur la notion, voire le besoin de « désobéissance civile » si les gouvernements ne prennent pas réellement et radicalement en compte l'écologie... Qu'entendez-vous exactement dans cette idée ? En quoi la désobéissance civile peut-elle faire avancer la cause écologique ?

Dominique Bourg La désobéissance civile présuppose la démocratie. L'un est le pendant de l'autre. En dictature, la désobéissance civile n'existe pas. Il me paraît important de poser cela comme prérequis. Ensuite, sur le temps long de l'histoire, ce qui apparaît est que si l'idée de désobéissance civile disparaît par périodes, elle ressurgit quand il y a un décalage important entre le pouvoir et les citoyens. Souvent ce décalage a trait à la question de la gestion des risques. Habituellement, une loi évolue après un accident. Cependant, en matière de nucléaire il est absurde d'attendre l'accident pour tenter de faire bouger la loi. Ainsi, des ONG comme Greenpeace prennent alors le flambeau de la désobéissance. Au point où nous en sommes aujourd'hui au niveau écologique, avec le retard que nous avons, tout cela est plus compliqué car il ne s'agit plus seulement de changer une loi mais l'organisation de la société. Nous sommes là sur un enjeu systémique et non circonscrit. Nous sommes face à un décalage entre nos connaissances (les fuites sur le rapport du GIEC en juin ont d'ailleurs été très significatives) et puis la manière dont les politiques publiques sont conduites.

Le décalage dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui est très grave. Mettre en avant dans le débat public les questions de morts violentes dues au terrorisme ou à la délinquance est absurde quand les vagues de chaleur, et tous les phénomènes liés au dérèglement généralisé du climat sont autrement plus importants dans le développement des maladies chroniques et autres cancers. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, nous assistons à un tassement de l'espérance de vie en bonne santé. Le décalage est total entre le discours et l'action politique d'un côté et la réalité du monde de l'autre. C'est ce décalage qui constituera le moteur de la désobéissance civile dans les mois et années à venir. Pour le dire encore autrement, nous sommes face à quelque chose qui nous détruit et nous mettons des petites rustines. La désobéissance civile est ponctuelle et vient accélérer l'évolution du monde. C'est en ce sens qu'elle peut être l'un des outils d'une réelle transition écologique.

Le discours politique semble tout de même s'infléchir. La France vient de voter la loi Climat et des avancées européennes présentées à Bruxelles mi-juillet visent à accentuer le mouvement vers une autre forme d'économie... Qu'en pensez-vous ?

D.B. Cette question politique que vous soulevez est intéressante. En France, il est très clair que le débat est sous-tendu par un déni structurel. La manière dont les sujets sont mis en avant par les politiques comme par les médias fait que l'agenda politique est pollué par des questions qui sont secondaires (l'identité, etc.) par rapport à l'urgence climatique puissante et dévastatrice à laquelle nous allons devoir faire face. La manière dont les dangers sont structurés dans notre débat public est complètement décalée, encore une fois, eu égard à la profondeur structurelle du problème écologique. Au niveau européen, il est vrai que les consciences semblent plus éveillées et les choses avancent dans le bon sens. Ceci dit, depuis toujours l'Europe a mis en avant les questions environnementales sans pour autant réussir une transformation concrète et forte. Rappelons que 70 % des émissions de CO2 dans le monde sont issues du G20. Même si l'Europe est en position de modifier son paradigme, dans les faits, elle ne le fait pas réellement. Tout le discours autour d'une économie qui serait tournée vers l'écologie est faux étant donné l'état de gravité dans lequel nous nous trouvons. C'est maintenant aux citoyens de sonner le tocsin très fortement !

Justement, les citoyens sont-ils assez investis, assez mobilisés, assez conscients de tout cela ? Sont-ils réellement en mesure de faire pencher la balance dans l'autre sens ?

D.B. Toute l'année 2019 a été marquée par de très importantes manifestations pour le climat. La Covid a stoppé cela, mais l'état actuel de la mobilisation citoyenne ne correspond pas à la réalité de celle-ci. Plus largement, je crois qu'une bascule a eu lieu dans l'esprit de la majorité des citoyens. C'est d'ailleurs la raison du succès symbolique de Greta Thunberg, cette enfant qui vient, devant l'assemblée générale de l'ONU, dire aux adultes ce que nous sommes : « Vous m'avez volé mon enfance et mon innocence ! » Pas anodin que cet événement survienne durant l'année 2019. Année lors de laquelle chacun a pu constater qu'il n'existait plus que deux saisons réellement. Une saison tiède avec l'hiver, un bout de l'automne et un bout du printemps et une saison chaude avec l'été un bout de l'automne et un bout du printemps. La vague de chaleur, puis de gel, en France, démontre ce nouvel état de fait du dérèglement climatique, tout comme les événements au Canada et aux États-Unis avec deux canicules en juin, la récente sécheresse en France avec un dépérissement forestier, ou la famine due à la chaleur à Madagascar... Ce qui nous attend dans l'avenir est déjà présent. Le degré de mobilisation est encore insuffisant. Mais la conscience est là et le phénomène qui, lui, s'accentue encore et toujours devrait amplifier le mouvement citoyen. Nous sommes revenus à un degré de CO2 dans l'atmosphère qui nous ramène à quatre millions d'années derrière nous, au pliocène ! Est-ce véritablement ce que, collectivement, nous souhaitons ? Quand certains raillent l'écologie en l'accusant de nous ramener au Moyen Âge c'est croquignolet quand le progrès, lui, nous ramène 4,5 millions d'années en arrière ! La rapidité de l'évolution est dramatique et le discours autour de la croissance est une farce !

« Si nous le voulons, nous nous dirigeons vers une vie plus harmonieuse », Dominique Bourg

C'est-à-dire ?

D.B. C'est-à-dire que nous sommes dans une difficulté folle. Évidemment que les résultats du GIEC sont « alarmants ». Nous sommes à la croisée des chemins et quand on met en regard de cela le discours du président de la République sur l'écologie et la croissance, cela donne envie de pleurer. Et je ne parle pas des sénateurs qui expliquent doctement sans rien connaître que l'économie doit passer avant ! Comment voulez-vous que sur une planète en proie à la sécheresse, il puisse y avoir de la croissance ? Les gens auront du mal à se nourrir, il y aura des flux migratoires immenses, on aura partout du mal à vivre, et on nous sert un discours lénifiant sur la croissance ! Quelle bêtise !

Ne faut-il pas une sorte de consensus droite-gauche pour vraiment transformer la façon d'aborder ces questions ?

D.B. Le consensus politique est crucial. Nos régimes politiques sont le fruit à la fois de l'avènement de la science moderne, de l'image mécaniste du monde qui nous laissait penser qu'en dehors des humains il n'y avait que des machines pour finalement arriver à la démocratie représentative moderne avec la philosophie des Lumières, du contrat, etc. À la fin du XIXe siècle, tout ce mouvement d'idées aboutit à un consensus très important, sans lequel nos sociétés actuelles n'existeraient pas. Le consensus est double : tout le monde est d'accord pour maximiser la production de richesses matérielles, tout le monde est d'accord sur le fait qu'il faille répartir la richesse. Sans cela une constitution de la société n'est pas possible. La polarité gauche-droite ne porte pas sur ces sujets en général mais sur leurs différents contours. Comment s'enrichir ? Comment réguler, etc. ? Tout cela a finalement bien fonctionné. La production de richesses a été prodigieuse.

Problème : cela ne marche plus. Cela ne marche plus parce que maximiser la production de richesses dans un monde fini nous donne le retour au pliocène. Ce qui détruit l'habitabilité de la Terre pour notre espèce et pour les espèces qui nous accompagnent, c'est très clairement la continuation de ce consensus issu du xixe siècle. Si on ne réduit pas la masse d'objets produite et les infrastructures que l'on aménage pour les produire, nous ne nous en sortirons pas.

C'est à partir de ce nouvel état de fait qu'il faut bâtir un nouveau consensus en trouvant un optimum de richesses compatible avec les grands équilibres planétaires. Le nouveau consensus est en phase d'émergence. Le dissensus qui va avec, lui, n'est pas encore présent. Il ne tournera pas autour d'une répartition de la richesse puisque la société écologisée est une société où il n'existe plus d'hyper-riches puisque ce sont eux qui produisent le plus d'émissions de gaz à effet de serre : 1 % de la population mondiale produit 15 % des émissions globales, les 10 % les plus riches pèsent pour 52 % des émissions globales quand 50 % des plus pauvres n'engendrent que 7 % des émissions totales. Les richesses doivent se resserrer et les nouvelles gauches et les nouvelles droites à venir auront forcément un point d'accord là-dessus. Notre problème démocratique actuel tient au fait que nous n'avons pas encore trouvé comment structurer nos désaccords autour d'un accord de fond sur la diminution des richesses pour atteindre un optimum. Il ne faut pourtant pas traîner. Sur le climat, nous avons à peine dix ans pour freiner vraiment.

Votre constat semble très pessimiste et pourtant, à vous lire, il y a aussi une forme d'espoir et la possibilité d'un salut. Vous dites que la vie sur Terre ne sera plus la même et qu'il s'agit d'opérer un changement de civilisation... Vous nous expliquez ?

En s'intéressant à ces marges et en œuvrant pour qu'elles deviennent centrales dans nos vies, on œuvre à l'écologie, et on œuvre aussi à rendre désirable ce nouveau paradigme de civilisation. Si nous le voulons, nous nous dirigeons vers une vie plus harmonieuse, plus agréable, plus détendue. Faut-il vraiment écouter ceux qui disent que c'est une erreur ?

Comment expliquez-vous que l'humanité mette du temps à véritablement faire le choix d'une vie plus harmonieuse ?

D.B. Je crois que nous sommes en route vers cela. C'est inévitable. Cependant, si cela apparaît comme lent, c'est aussi parce que tout va dans le sens inverse. Les médias, pour la plupart. La publicité, aussi évidemment, qui est le moteur du système actuel. Si on ne nous incite pas à acheter, nous n'achetons pas. Nous pourrions multiplier les exemples. De facto, tout l'aspect structurel du système ancien est toujours en place. Face à cela, c'est la conscience de quelques individus et quelques maigres médias qui doivent porter le discours du changement de paradigme. Le combat n'est pas tout à fait à armes égales. Résultat : ce qui fera changer, ce sont les catastrophes...

Quels sont pour vous les enjeux matériels de ce nouvel idéal de civilisation ? Va-t-on devoir abandonner certaines choses ? Comment rendre ce demain plus désirable ?

D.B. Là est la partie la plus difficile. Toutes les études et notamment celle du bureau d'études BL évolution, parue fin 2018 à la suite du rapport du GIEC, proposent de faire des choses en moins. Trois quarts de voyages en avion en moins, des bâtiments plus petits, un changement profond dans l'alimentation, moins utiliser sa voiture, moins consommer, moins chauffer, etc. Nous sommes dans une addition de « moins ». Tant que l'on n'a pas profondément restructuré les choses, cette sensation du « moins » sera présente. La période de transition est difficile car il s'agit d'abandonner des habitudes confortables. Cependant, si l'effort est collectif, il pèse moins. De plus, petit à petit, les techniques nouvelles vont évoluer et devenir plus performantes pour atteindre l'optimum et non plus le maximum. Nous finirons par vivre mieux, je n'en ai aucun doute, mais nous arriverons à cela en tâtonnant, en faisant, en refaisant, et en explorant. La période que nous vivons sera complexe car elle est cet entre-deux où les choses s'enclenchent et ne sont pas encore une réalité tangible.

Un entre-deux dans lequel, malgré une prise de conscience, l'écologie apparaît toujours comme punitive. C'est ce qu'ont semblé dire les bonnets rouges, puis les gilets jaunes... Vous aviez parlé d'un ISF pour lutter contre la précarité énergétique des populations les moins favorisées...

D.B. La chose intolérable est que l'essentiel de l'effort soit porté par les plus pauvres. Si on ne réagit qu'en jouant sur les prix, cela ne marchera pas. La leçon des « gilets jaunes » est très claire sur ce point. L'écologie ne marchera que si elle est sociale. Une politique écologique qui s'en prend aux plus pauvres est une politique anti-écologique car ce sont les plus riches qui détruisent le plus. Cela est très facile à comprendre et à expliquer. Ce qu'avait initié Damien Carême lorsqu'il était maire de Grande-Synthe était une réelle politique d'écologie sociale avec des HLM à haute qualité environnementale, etc.

Faudrait-il un quota de consommation pour chaque individu ?

D.B. Oui. Quand on achète quelque chose aujourd'hui, le prix bas indique très souvent une très mauvaise empreinte environnementale. Nous proposons qu'en plus du prix, un autre indicateur puisse nous donner l'impact réel du bien acheté sur le système terre. On parle d'unité de charge écologique. L'idée est que chacun et chacune ait un quota pour ce qui est des achats de biens courants. Le quota annuel pour les biens courants serait rechargé chaque année et nous pourrions aussi imaginer un quota sur la vie pour les biens plus importants. Je prends souvent l'exemple des tomates. Quand on achète des tomates produites sous serre en Hollande à tous les moments de l'année, l'unité de charge écologique est très élevée. En revanche, si on consomme des tomates produites à côté de chez soi, en activité permacole et livrées à vélo électrique, alors on gagne en unité de charge écologique. Cette mesure est une façon de restructurer en quelques années l'offre et la demande. Ce qui détruit l'habitabilité de la Terre c'est notre consommation finale. Il faut jouer là-dessus. Certains ne trouveront pas cela très « fun », mais c'est le seul moyen de s'en sortir.

On en revient à la désirabilité... N'y a-t-il pas un manque dans le discours sur le monde de demain ?

D.B. Certainement. Cependant, en allant vers ce nouveau mode de consommation, nous vivrons mieux. Nous ne serons plus harassés par cette vie tumultueuse qui nous pousse vers le toujours plus. Je ne promets pas de paradis où tout est gratis. Je promets un monde d'harmonie où en fait, vivre est plus facile, plus sensé, et où l'on reconstruit la relation à la nature et au vivant. Nous retrouvons un sens dans cette vie en étant utile à autrui et à la nature. La société de demain est une société décroissante, mais où l'activité humaine est là. Où l'on mixe high-tech et low-tech, où l'on invente de nouvelles voies pour travailler. La société qui vient est une société où le travail humain sera à sa juste place. Ce n'est ni une société du farniente, ni une société du stakhanovisme. Au fond, c'est une société apaisée et plus complexe. Plus intéressante en somme.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°6 - PLANETE MON AMOUR - Réparons les dégâts ! Octobre2021 - Découvrez la version papier

Propos recueillis par David Medioni

16 mn

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