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Un ensemble d’étudiant(e)s a rédigé un manifeste, publié le 30 janvier dernier, dans lequel il s’oppose à ce qu’il nomme le « dogmatisme universitaire ». Également membres de la communauté universitaire, nous estimons que l’argumentaire présenté par ce groupe est problématique à plusieurs égards. Nous proposons donc une réponse critique à un texte qui amalgame des concepts laissés sans définition et des affirmations tenant de l’idéologie, manifestement dans l’idée de discréditer les sciences sociales et « la gauche progressiste ».

Réduire les sciences sociales à une idéologie nous semble nier le caractère rigoureux des disciplines désignées. De plus, la représentation de ces disciplines comme étant « colonisées » par des tendances « anglophiles » est fallacieuse en soi : les auteurs français occupent une place importante dans les plans de cours, de même que, rappelons-le, les hommes blancs. Ainsi, désigner les professeur(e)s de sciences sociales comme des « amateurs de l’intersectionnalité » nous semble entièrement hors propos, étant donné que les épistémologies et théories critiques prennent peu, sinon aucune place dans les cours de baccalauréat et même dans les séminaires — sans parler des théories produites par des femmes ou des personnes racisées. Les auteurs de la lettre disent donc se situer à contre-courant d’une hégémonie de gauche qui aurait le monopole de l’institution universitaire, alors que dans les faits cette affirmation ne tient pas la route.

L’extrait reprenant le concept orwellien de novlangue témoigne pour sa part d’un effet de backlash envers des communautés minorisées qui gagnent des droits et de la représentativité de peine et de misère. Les mots que les auteurs de la lettre tournent en ridicule, tels qu’« islamophobie », « transphobie » ou encore « capacitisme », s’inscrivent dans une initiative d’actualisation du langage théorique nécessaire au développement des champs d’études qu’ils déplorent également. En effet, selon leur texte, les départements d’études féministes, la conscientisation face aux différentes formes de racisme et la reconnaissance du colonialisme violent subi par les membres des Premières Nations, les Inuits et les Métis seraient des problèmes.

Rappelons au passage que la lettre a été publiée au lendemain du troisième anniversaire de l’attentat de la mosquée de Québec, un événement dont l’occurrence même a été permise par notre déni collectif de l’islamophobie, et dont la commémoration demeure nettement insuffisante. Reconnaître ces types de discrimination en les nommant est un premier pas nécessaire pour éviter la perpétration d’actes violents tels que celui-là.

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Nous croyons également que d’orienter la question de l’oppression autour de la relation Canada-Québec témoigne d’une vision étriquée des rapports de pouvoir, mais aussi de l’élasticité du concept d’oppression, caractéristiques du malaise identitaire québécois. Désigner les Québécois(e)s comme des victimes d’une subordination face à l’État canadien occulte le fait qu’en 2020, notre rôle est bien davantage celui de l’oppresseur, tant envers les communautés autochtones et les personnes issues de l’immigration qu’envers les personnes afrodescendantes. De plus, mettre toutes les oppressions sur un même pied d’égalité fait preuve d’une conception réductrice de ce qu’elles sont vraiment, c’est-à-dire plurielles, situées dans le temps et dans l’espace, indissociables de leur contexte et ayant des impacts infiniment variés. Il nous semble donc important de rappeler que la relation Canada-Québec est incomparable aux rapports de pouvoir que l’hégémonie blanche eurodescendante exerce sur celles et ceux qu’elle colonise et marginalise.

L’argumentaire mobilisé quant à la liberté d’expression, hérité de discours des cercles américains de droite et d’extrême droite, laisse entendre que les tenants du conservatisme seraient de plus en plus brimés dans leur liberté d’expression sur les campus universitaires. Aux États-Unis, la professeure Keeanga-Yamahtta Taylor, de l’Université Princeton, observe que la rhétorique pro-liberté d’expression comme celle qu’emploient les auteurs de cette lettre se retourne bien souvent contre les étudiant(e)s et les professeur(e)s activistes de gauche. C’est ce qui mène Taylor et d’autres auteurs et autrices à parler d’une « hypocrisie de la liberté d’expression » : autrement dit, celle-ci est défendue corps et âme lorsqu’il s’agit de répandre les discours conservateurs que l’on estime menacés, mais le même droit ne semble pas s’appliquer aux militant(e)s de gauche.

Les signataires du « Manifeste contre le dogmatisme universitaire » souscrivent donc à une rhétorique réactionnaire qui se donne des airs révolutionnaires et, pour ce faire, s’autoproclament héritiers des auteurs et des autrices du manifeste Refus global, arrachant au passage ce texte de son contexte sociohistorique et l’associant à une lutte fantôme qui n’a aucun lien avec ce qu’ils et elles revendiquaient. Cette proposition manifeste de ressac confirme l’utilité des luttes des groupes marginalisés pour une représentation, un poids, une importance dans le système d’éducation néolibéral.

*Ce texte est signé par plus de 280 personnes provenant de différents cégeps et universités.

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