Bardot, une vie confisquée
En 1960, une photo de Bardot se négocie à prix d’or. L’actrice est d’autant plus recherchée par les reporters qu’elle s’exhibe rarement. Un barème informel fixe la cotation auprès de plusieurs journaux. Un cliché de son visage splénétique est bien plus cher que celui d’une Bardot épanouie. « Il fallait qu’elle soit triste, c’était très demandé », souligne Raymond Depardon, qui commence alors sa carrière de photographe. Sauf que la tristesse de Bardot ne s’offre pas. Elle n’est jamais à vendre.
A cette époque, Jean-Marie Périer a 20 ans et il n’est pas encore le photographe des musiciens et chanteurs des années yéyé – il sera le compagnon de Françoise Hardy. Avec un autre stagiaire, il est chargé par Roger Thérond, le patron de Paris Match, d’une mission impossible : surprendre Bardot en larmes. Jean-Marie Périer et son comparse restent stationnés six semaines dans leur voiture, jour et nuit, devant l’immeuble parisien où réside l’actrice, au 71, avenue Paul-Doumer, dans le 16e arrondissement. Ils n’apercevront même pas son ombre.
Dépité, le photographe se rend à Louveciennes, devant le chalet norvégien des parents de Brigitte Bardot. Miracle, la vedette apparaît. « Elle se dirige vers la forêt pour marcher paisiblement, se souvient Jean-Marie Périer. Je la suis. Elle ne me voit pas. Derrière son dos, elle surprend ma respiration. Tout à coup, elle se retourne, en larmes. Je suis saisi par son visage, j’appuie vite sur le déclencheur, je m’excuse auprès d’elle et je pars en courant. » La carrière de paparazzi de Jean-Marie Périer n’ira pas plus loin.
Lire cette interview de Louis Malle en 1962 :Article réservé à nos abonnés« Brigitte Bardot me parait être le symbole de l'inadaptation de nos vies»lle enLe photographe retrouve inopinément Bardot, quelques semaines plus tard. Il rend visite à sa mère, l’actrice Jacqueline Porel, sur le plateau de La vérité, d’Henri-Georges Clouzot, dans lequel elle interprète une avocate. Bardot aperçoit le jeune homme, lui fait un signe de la main pour qu’il s’approche et lui lance : « Je vous pardonne. » Après le rude traitement que lui a infligé Clouzot, l’actrice baisse la garde, elle n’a plus de larmes à proposer.
Du reste, un an plus tard, elle ne pleure plus. Elle hurle. Le réalisateur Louis Malle et son scénariste, Jean-Paul Rappeneau, ont rendez-vous avec elle au domicile de la productrice Christine Gouze-Rénal, rue Campagne-Première, juste à côté du boulevard Montparnasse où, quelques mois plus tôt, Jean-Paul Belmondo titubait puis s’écroulait, mort, à la fin d’A bout de souffle, le premier film de Jean-Luc Godard. La productrice souhaite associer son amie Brigitte à Louis Malle, une étoile montante de la Nouvelle Vague depuis Ascenseur pour l’échafaud (1957) et Les Amants (1958). Elle pense à l’adaptation d’une pièce à succès du dramaturge britannique Noël Coward, Vies privées. « C’est parfait pour elle, assure la productrice, elle doit retourner à des rôles d’ingénue. »
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